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Le développement durable au cœur du partage des connaissances Sud-Nord

Que peut apprendre le Nord du Sud en matière de protection du climat ? En automne dernier, l’agronome camerounais Alphonce Azebaze s’est rendu en Suisse afin d’échanger avec ses pairs sur les différentes techniques en matière d’agroécologie et d’agriculture durable.

Amanda Castillo
Alphonce Azebaze avec un agriculteur et des vaches laitières dans le Jura bernois pendant son échange Sud-Nord en Suisse.

«Notre maison brûle et nous regardons ailleurs.» Cette phrase culte a été prononcée par Jacques Chirac il y a vingt ans. Aujourd’hui, cet aveuglement pourrait bien s’appliquer à l’injustice climatique: tout le monde la voit, ais personne ne la regarde. Autrement dit, alors que les débats vont bon train chez les climato-sceptiques des pays industrialisés (le lancinant «halte au catastrophisme!»), les pays africains subissent déjà de plein fouet les effets des dérèglements du climat. Ainsi, au Cameroun – pays où l’agriculture est un secteur vital pour l’économie, employant la moitié de la population active – on assiste à des chaleurs extrêmes, mais aussi à des crues et inondations qui submergent les champs, détruisent les récoltes, noient les troupeaux et entrainent des déplacements de population. Ces inondations sont dues aux débordements des fleuves qui, paradoxalement, tarissent ou diminuent drastiquement leur niveau d’eau en saison sèche. Dans certaines régions, la rareté croissante de l’eau et des pâturages entraînent les conflits interethniques.

Pour tenter d’inverser le processus de destruction en cours, le pays se penche depuis plusieurs années sur l’agriculture durable. Ce mode de production respectueux de l’environnement peine cependant à émerger, note la Revue Africaine d’Environnement et d’Agriculture dans son compte-rendu du 29 avril 2022. D’une part, car l’élimination de pesticides engendre des baisses significatives de rendements des cultures. D’autre part, car les produits biologiques sont en concurrence directe avec les produits de l’agriculture conventionnelle qui, bien que polluants et contribuant directement au réchauffement planétaire, restent plus abordables pour les consommateurs. Difficile de se mobiliser contre la fin du monde quand la fin du mois, voire de la semaine, n’est pas assurée...

Faciliter les transferts de compétences

Consciente que c’est en agissant collectivement que les pires conséquences du réchauffement climatique seront évitées, l’organisation DM favorise depuis de nombreuses années les échanges de savoirs «Sud-Nord». «Brainstormer entre pairs de différents pays constitue un levier important de l’innovation et de la créativité, assure Aline Mugny, coordinatrice du pôle communication chez DM. C’est l’une des bases de l’intelligence collective. Chaque pays a des compétences et connaissances à apporter pour challenger les idées et l’expertise de l’autre.»

C’est dans cet esprit qu’Alphonce Azebaze s’est rendu en Suisse en automne dernier. Du 7 septembre au 6 octobre 2022, cet ingénieur agronome Camerounais a échangé avec ses homologues suisses sur une variété de sujets. «Avec l’équipe de la Fondation rurale interjurassienne, nous avons partagé nos savoirs en matière d’agroécologie et d’agriculture biologique». A cet égard, l’agronome a été surpris de trouver en Suisse des sols pauvres et maigres, sans matière organique. Au Cameroun, les paysans utilisent les fruits, les herbes et les déjections animales pour fertiliser les sols, ce qui permet d’avoir un compost amélioré et d’augmenter la matière organique. «J’ai aussi été étonné de voir que le bio en Suisse est pratiqué de manière intensive, en monoculture, ce qui n’est pas le cas au Cameroun où plusieurs cultures poussent sur le même champ», ajoute-t-il.

Alphonce Azebaze à gauche en dialogue avec les apiculteurs de Saint-Imier pendant son échange Sud-Nord en Suisse.
Alphonce Azebaze à gauche en dialogue avec les apiculteurs de Saint-Imier pendant son échange Sud-Nord en Suisse. Photo : DM

Autre champ de recherche présent au fil de cette rencontre, celui qui concerne le domaine de l’apiculture. «En discutant avec les apiculteurs Blaise et Cyriaque, j’ai découvert leurs techniques de sélection des colonies et l’utilisation des ruches ‹ à hausse ›. L’abeille subsaharienne est agressive, ce qui pose un problème dans les régions où la population vit à proximité des ruchers. D’où la nécessité de sélectionner des colonies qui tolèrent la présence humaine.» Selon Alphonce Azebaze, la Suisse aurait tout à gagner de l’implantation d’arbres mellifères à proximité des ruchers. D’une part, car ceux-ci favorisent la production continue du miel en offrant aux butineuses du nectar. D’autre part, car ils luttent contre les changements climatiques en fixant le dioxyde de carbone par le phénomène de la photosynthèse. «Il a tant de ressources naturelles à notre disposition que nous n’exploitons pas», déplore Alphonce Azebaze.

«Nous avons tendance à l’oublier, mais le Nord et le Sud sont souvent confrontés aux mêmes problèmes», rappelle de son côté Aline Mugny. «C’est la raison pour laquelle la coopération par l’échange de personnes et les apprentissages communs sont au cœur de nos actions.» Juliane Ineichen, responsable de l’agroécologie à DM, approuve. «Au terme de ces rencontres, un élément très fort a été la prise de conscience concrète des enjeux communs liés aux changements climatiques. Alphonce Azebaze a également vu de ses propres yeux une exploitation conventionnelle passée au bio qui produisait autant qu’avant. C’était important pour lui de voir ‹ qu’on pouvait nourrir le monde avec le bio › en respectant l’environnement et la santé des producteurs et des consommateurs. De son côté, il a pu partager son expérience avec des agriculteurs et des chercheurs jurassiens, en matière de fourrage pour l’alimentation des animaux notamment.» Et de conclure: «L’enrichissement a été mutuel.»

L’échange Sud-Nord d’Alphonce Azebaze et le projet du CIPCRE au Cameroun sont soutenus par la DDC (DFAE), dans le cadre du programme institutionnel d’Unité.

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